Merveilles et mirages de l’orientalisme : critique de l’institution muséale

    Du 31 janvier au 31 mai 2015, le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) présente l’exposition Merveilles et mirages de l’orientalisme : De l’Espagne au Maroc, Benjamin-Constant en son temps. L’institution nous la présente comme parcourant « six lieux emblématiques de l’orientalisme, proposant la double lecture de ces récits fictionnels, confrontant mises en scènes picturales et réalités documentaires ». On nous propose de cheminer à travers des pièces présentant «  les stratégies de l’atelier orientaliste », « les salons, l’orient dans l’histoire », « l’Alhambra, antichambre de l’orient », « Tanger, les séductions de la ville blanche », « diplomatie coloniale au Maroc : Delacroix V.S. Benjamin-Constant » puis « le harem, fantasmes et mensonges ». J’ai été agréablement surprise par la présentation ainsi que les thèmes de cette exposition qui laissent croire à une interprétation nouvelle des enjeux posés par l’analyse d’œuvres orientalistes. Cependant, je suis restée sur ma faim lors de ma visite.

Jean-Joseph Benjamin-Constant Intérieur de harem au Maroc, 1878 Huile sur toile, 310 x 527 cm Lille, Palais des Beaux-Arts Photo RMN-Grand Palais / Philipp Bernard

Jean-Joseph Benjamin-Constant
Intérieur de harem au Maroc, 1878
Huile sur toile, 310 x 527 cm
Lille, Palais des Beaux-Arts
Photo RMN-Grand Palais / Philipp Bernard

J’avoue qu’en lisant le texte d’entrée déjà beaucoup trop long, j’ai eu un peu d’espoir. On parle en surface du fait que le concept d’orient est une construction de l’occident. Mais il s’agit d’un texte d’entrée, il est donc tout à fait normal que l’on n’aborde que les grandes lignes de l’exposition sans entrer dans les détails. Ça aurait été efficace si on n’avait pas complétement passé par-dessus ces concepts au profit d’un contenu disparate digne de cabinets de curiosité (ceci n’est pas un commentaire positif); d’objets qui étaient aussi utiles au discours de l’exposition que les images du PowerPoint d’un enseignant qui ne s’en sert que pour changer de diapo plus souvent qu’aux 30 minutes; de textes à n’en plus finir mais qui au fond ne disaient rien du tout. Lorsque dans un essai on cite des noms de théoriciens reconnus pour faire du remplissage on appelle cela du name dropping. Dans le cas présent, le MBAM nous sert un parfait exemple de « concept dropping » : citer des concepts larges sans nécessairement les expliquer pour donner l’impression qu’on éduque le public. Bref, c’était comparable à un très mauvais cours et je trouve que c’est un coup raté pour un musée à prétention universaliste dont une grande part de la mission est l’éducation du public. J’ai trouvé qu’on présentait cet art supposé être chargé d’enjeux coloniaux, sexuels et ethniques comme de simples objets de décoration sans réellement tenir de discours nouveaux.

Remarquez, sans même m’en apercevoir, j’ai utilisé « on »… « Si on n’avait », « on présentait cet art ». Ce pronom est totalement fidèle à cette tendance, disons, le fâcheuse et arriérée de faire croire au public que la muséographie, la mise en scène, les textes « informatifs », le discours constitutif de l’exposition ont tous été réalisés par magie par le Saint Esprit de l’histoire de l’art. Le musée tente de faire passer l’exposition comme objective, factuelle. Eh bien non! Une exposition n’est pas et, selon moi, ne devrait jamais être objective! L’art n’est pas supposé être considéré pour sa simple valeur esthétique. L’art devrait être considéré et discuté pour sa valeur sociale, sa capacité à véhiculer les mentalités, les enjeux politiques, les rapports humains de civilisations entières. Lorsque bien utilisé et analysé, l’art est un média de communication au même titre que les archives de journaux par exemple. Mais ici, le MBAM, pour utiliser de grands mots, a failli à sa tâche et nous a offert une exposition qui semble rendre accessible l’art au grand public mais qui encore une fois ne fait qu’éloigner ce dernier de l’essence de l’art qui contrairement à ce qu’on croit, n’est pas si difficile d’accès.

            Nathalie Bondil, directrice générale et conservatrice en chef du musée, malgré toute sa bonne volonté, n’a pas réussi selon mon opinion à véhiculer l’idée de stéréotypes, de rapport de forces coloniales, de relations entre les sexes, l’hyper sexualisation et l’assujettissement des femmes et de l’Autre à travers cette exposition. Comme le mentionne Éric Clément dans La Presse du 28 janvier, « il est difficile de visiter cette exposition sans penser au colonialisme européen et à cette façon passéiste de considérer les civilisations non occidentales avec condescendance. Une vision qui ne semble pas avoir complètement disparu ». Mais tout cet aspect est selon ma perception mis de côté au profit d’un renforcement des stéréotypes que l’on tente de démonter.

Yasmina Bouziane (1968-), Sans titre no6, alias "La Signature" De la série "Habités par des imaginations que nous n'avons pas choisies", 1993-1994 épreuve à développement chromog`ne, 1/10, 40,8 x 27,9 cm. MBAM, achat, fonds Peter Dey.

Yasmina Bouziane (1968-), Sans titre no6, alias « La Signature » De la série « Habités par des imaginations que nous n’avons pas choisies », 1993-1994
épreuve à développement chromog`ne, 1/10, 40,8 x 27,9 cm.
MBAM, achat, fonds Peter Dey.

Malgré ma piètre opinion de la valeur éducative de cette exposition, je dois avouer que j’ai apprécié voir ces magnifiques œuvres devant mes yeux. Si on ne se concentre que sur le plan esthétique, la mise en scène était fabuleuse et les œuvres sont bien évidemment magnifiques. J’ai aussi plutôt apprécié l’initiative de Madame Bondil d’intégrer des œuvres actuelles bien que ce ne soit que dans la dernière salle. En effet, les œuvre de Lalla Essaydi, Majida Khattari ainsi que Yasmina Bouziane amène un vent de fraicheur et d’actualité à l’exposition. Par contre, j’ai trouvé que pour quelqu’un qui n’est pas habitué à l’analyse d’œuvre, le lien entre elles ainsi qu’aux autres œuvres de la salle était peu expliqué. Pour apporter une légère nuance à ma critique, il faut comprendre que le MBAM ne fait pas partie des trois seuls musés québécois à être en partie subventionnés par l’État. Les expositions blockbusters sont un moyen d’attirer un public moins enclin à l’aspect théorique de l’art. Comme j’ai expliqué à l’ami qui m’accompagnait à l’exposition, c’est comme si Micheal Bay avait essayé de faire son dernier film des Transformers sans trop d’explosions et de jolies filles. Ça n’aurait tout simplement pas fonctionné. Le public général, et c’est tout à fait compréhensible, veut du beau et de la renommée. Je ne critique pas du tout le goût du public. En fait, je crois que c’est au musée de tenter un savant mélange de blockbuster et d’éducation pour véhiculer un savoir tout en offrant un divertissement.

            Finalement, je conseille malgré tout de visiter cette exposition. Je trouve qu’il serait juste de dire qu’il s’agit d’une belle exposition incomplète. Je suggère par contre aux intéressés de s’informer au sujet de l’orientalisme et ses enjeux après la visite de l’exposition pour profiter pleinement de ce qu’elle a à offrir tout en comblant les trous béants dans son discours savant une fois la visite terminée.


 

Bibliographie

            BONDIL, Nathalie (2015). « Ombres et lumières de l’orientalisme », Revue du Musée des Beaux-Arts de Montréal, janvier à avril 2015, pages 4-8

            Clément, Éric (2015). «Benjamin-Constant au MBAM: l’exotisme au XIXe siècle», La Presse, [En ligne], 28 janvier 2015, http://www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/201501/28/01-4839220-benjamin-constant-au-mbam-lexotisme-au-xixe-siecle.php . Consulté le 8 février 2015

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